Le kendo et ses implications cognitives : des pistes de réflexion

 

Résumé

• Le sabre, arme emblème de l’élément métal, matérialise la convention dans le sens du paramètre 2 des quatre paramètres de la noématique. Son maniement dans le kendo incarne le geste mental de réflexion qui permet d’arbitrer, avec un aspect tranchant (application de la loi pour exclure ce qui n’est pas conforme) et un aspect soyeux (intégration dans un groupe social partageant et acceptant les mêmes normes).
• La pratique du kendo facilite donc sur le plan cognitif à la fois l’acceptation du code social et la réflexion.
• La posture utilisée favorise un équilibre dynamique : sur le plan cognitif une mobilité mentale à partir d’une dualité concentration-vigilance.
• Comme dans les autres pratiques chevaleresques, le combat implique un haut niveau attentionnel, voire le plus haut.
• Les blessures dues à la pratique peuvent se soigner avantageusement avec des aimants médicaux.
• L’histoire du kendo, et sa pratique, illustre la notion de densification de la pensée et l’amélioration de ses qualités.


 

J’ai eu la chance de pratiquer l’art chevaleresque du sabre japonais pendant une année. Voici quelques conclusions sur les implications cognitives de cette pratique que j’ai pu observées. 

 

Le sabre : emblème de l’élément métal

Dans la théorie des cinq éléments (wu xing : terre métal eau bois feu) telle que je la comprends, le sabre est l’arme emblème de l’élément métal. Ma théorie des correspondances associe l’élément métal au geste mental de réflexion et aussi au paramètre 2 (P2), dans le sens où la noématique ou la phénoménologie des actes de connaissance les décrivent.
Il y a en effet le sabre, objet ou versant statique d’une réalité, et son maniement, procès (anglais : process) ou versant dynamique de la même réalité. Dans l’optique de Kant, le sabre est de l’espace et son maniement du temps. (L’espace et le temps sont deux éléments de base de la pensée, ou noèmes dans le modèle que j’ai élaboré.) Dans une description yin-yang, le sabre est le versant yin et son maniement est le versant yang.
Développons chacun des deux aspects, spatial et temporel.

 

L’objet sabre comme matérialisation de la convention P2

Le sabre comme objet représente donc quelque chose de statique : sur le plan cognitif, ce sont les quatre paramètres (P1, P2, P3, P4) qui sont statiques.
Le concept de paramètres a été réactualisé par Antoine de La Garanderie, mais se retrouve dans la pensée de Thomas d’Aquin, qu’il a lui-même repris de la pensée judaïque qui l’a elle-même transposée depuis les systèmes de pensée de l’Égypte antique.
Le paramètre 2 (P2) correspond à la convention, au code, à la loi, à la règle, à la norme sociale ou autre, à ce qui fait référence, etc.
Quelle conséquence la pratique du sabre a-t-elle sur la plan cognitif de ses pratiquants ?
Ces derniers, en vivant le code, vont l’intégrer.
Or, une caractéristique majeure des Japonais est leur intégration du code : on ne respecte pas la loi par crainte de rétorsion mais parce que l’on comprend dans ses tripes qu’elle est faite pour le bien-être des individus, notamment des autres, et donc in fine de soi.
Cette caractéristique a été expliquée par Mei-Ling Hopgood1.
Je trouve intéressant de noter que le sabre, si prisé au Japon, facilite l’assimilation subtile de la convention.

 

Le maniement du sabre comme matérialisation du geste de réflexion

Le sabre se manie et nous avons ainsi son versant dynamique, ou temporel. Sur le plan cognitif, ce sont les gestes mentaux qui sont dynamiques.
La noématique décrit cinq gestes mentaux de base, tels qu’énoncés par Antoine de La Garanderie (1920 – 2010). La réflexion est l’un d’entre eux, avec l’attention, l’imagination, la mémorisation et la compréhension. Chaque geste mental se vit à travers une dualité complémentaire d’une action et d’un projet (au sens donné par Heidegger), ou dans une certaine mesure une intentionnalité (au sens donné par Husserl). Nous dirions plus simplement que tout geste, mental ou physique, incarne à la fois une action et une direction.
Par exemple pour marcher, la direction est d’aller de l’avant et l’action de mettre un pied devant l’autre2. Tout geste, mental ou physique, est descriptible.
Comment décrire le geste de réflexion, avec son projet et son action ?
Le projet, ou la direction de pensée, du geste de réflexion, est de confronter deux évocations (ou noèmes), l’une de la situation sur laquelle on réfléchit, l’autre ayant statut de référence (de P2 en noématique). Dit plus simplement...
La réflexion cherche à confronter une situation à une loi, ou une loi à une situation.
Quelle action devons-nous accomplir pour réfléchir ?
Nous devons comparer la situation à la référence, et identifier. L’exemple trivial que je donne est de savoir si 2 + 2 = 5. C’est la situation. La référence est 2 + 2 = 4. Nous comparons les deux : ce n’est pas identique. Notre réflexion nous fait donc dire que non (2 + 2 n’est pas égal à 5, puisque la loi nous dit que ça fait 4 et que 4 et 5 ou 5 et 4 ne sont pas identiques).
Le geste de réflexion permet d’arbitrer, de trancher.
Or que fait le kendoka avec son sabre ?... Il tranche.

Mais il y a plus. Dans ma recherche de trente ans sur l’élaboration d’un modèle hyper cohérent de la pensée, j’ai établi une correspondance entre les cinq gestes mentaux de base et les cinq gestes physiques archétypaux décrits dans les arts martiaux internes (l’aïkido est un art martial interne de structure huit, je parle ici des arts martiaux internes de structure cinq, le taï-chi-chuan est un art martial interne de structure trois).
Le geste métal correspond au geste de base accompli en kendo.

Selon la lecture des cinq éléments, le kendo développe ainsi le geste métal. Avec ma clé de lecture, le kendo développe donc l’aptitude à réfléchir, ou dit plus prosaïquement, à trancher, à arbitrer, à choisir, à savoir respecter une règle ou à en inventer de nouvelles qui tiennent compte d’aspects nouveaux de la réalité.
En plus du côté tranchant, yang, temporel, le geste métal recèle également un côté soyeux, yin, spatial. Sa pratique permet donc de se sentir de mieux en mieux intégré socialement, de bénéficier de l’aspect soyeux, doux et chaleureux, de l’appartenance à un groupe. Les implications cognitives et motivationnelles me semblant évidentes, je ne les développerai pas ici. 

 

La posture de base en kendo : équilibre dynamique et altitude

On pourrait croire qu’en kendo la posture de base tombe dans l’erreur du double poids3. Ce nom donné par les maîtres chinois décrit l’erreur des débutants de mettre autant de poids sur la jambe gauche que la jambe droite, ce qui favorise l’immobilité, péché mortel en combat. Sur le plan cognitif, l’erreur du double poids se retrouve dans l’absence de choix entre les systèmes visuel et auditif, ou spatial et temporel, ce qui engendre toute une série de troubles : dyslexie, dyscalculie, absence de motivation, etc. Ces points sont étayés par mes recherches sur l’espace-temps et les bilans d’orientation élaborées par Marie-Renée Rollet4 qui reprend les travaux d’Albert Bandura et de Jerome A. Yesavage.

           

La posture de base du kendo est proche de l’équilibre dynamique deux talons au sol, avec une répartition du ressenti du poids deux tiers un tiers.
Pourquoi sommes-nous proche de cet équilibre dynamique ? C’est que le talon est levé, ce qui permet à la fois de rétablir un équilibre dynamique et de donner une nouvelle dimension (l’altitude) à la pratique.
Cela permet également de donner une échelle de compréhension, un outil issu de ma lecture de la philosophie pratique de WANG Yangming5 telle que transmise par son descendant WANG Zemin et son successeur Georges CHARLES6. L’échelle de compréhension, c’est monter et descendre les sept niveaux de compréhension tels que transmis dans l’école de WANG Yangming.
En clair ici, c’est rencontrer dans la pratique :
- des éléments unidimensionnels ou linéaires ou statiques, comme le sabre ou le cri ;
- des éléments bidimensionnels comme le polygone de sustentation au sol ;
- des éléments tridimensionnels avec le talon levé, le sabre élevé dans la prolongation de la grandeur du corps ;
- et des éléments quadridimensionnels avec le mouvement, le souffle, l’intention, etc.
En permettant de monter et descendre l’échelle de compréhension, le kendo offre à ses pratiquants la possibilité sur le plan cognitif de mobiliser et d’approfondir leur compréhension. 

 

Le combat : situation à haut niveau attentionnel

Comme dans d’autres pratiques chevaleresques, le combat a plusieurs vertus.
Il permet d’affronter les trois peurs7 décrites par ZHENG Manqing : ne pas avoir peur de se tromper, ne pas avoir peur de perdre, ne pas avoir peur de la brutalité.
Il permet d’actualiser et d’incarner un des 32 noèmes de base : l’objectif, qui est aussi un des trois composants de base à toute activité réussie.
Il permet de développer l’attention au réel, avec une alternance rapide entre concentration et vigilance, les deux versants de l’attention, vision centrale et vision périphérique, vue des détails et vue d’ensemble, etc.
En kendo de surcroît, le casque oblige de facto à concentrer le regard sur l’adversaire ou le partenaire. Ce qui développe l’aspect yang ou temporel du geste d’attention. Sur le plan cognitif, cette pratique aidera donc les personnes souffrant des soi-disant TDA et TDAH.
Je ne développe pas tous ces points, traités ailleurs par mes travaux, et mes conférences en Italie. 

 

Les aimants comme alliés de la pratique métal du kendo

Les kendoka le savent : le tendon d’Achille est sur-sollicité au kendo.
L’application d’aimants médicaux8 a fait disparaître chez moi ces affections, comme si cela rééquilibrait les excès du métal.

 

La densification de la pensée au kendo

Je ne me souviens plus quel maître japonais réussissait à faire sortir ses partenaires de l’aire de pratique par sa seule force de conviction.
Hormis les processus alchimiques décrits par les taoïstes et leur médecine (acupuncture, etc.), je note intéressant que la pratique martiale stabilise les noèmes ou la pensée, en augmentant leur densité.
Les pratiquants disposent ainsi d’une qualité cognitive augmentée : au niveau cérébral, on devrait pouvoir montrer et mesurer la densification de réseaux neuronaux spécifiques, communs avec ceux des apprentissages scolaires.


 

Cet article est un compte-rendu et un résumé de mon travail d’enquête. Je demeure à disposition pour davantage d’explications en l’attente de la publication de tous mes livres.

Frédéric Rava-Reny

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1 Mei-Ling HOPGOOD, Comment les Eskimos gardent les bébés au chaud, JC Lattès, 2012, chapitre 8. « Comment les Japonais laissent leurs enfants jouer aux mains sans trouver cela vilain », pp. 226 - 254

2 Cette description sommaire ne doit pas cacher les études plus complexes comme celle de F. PLAS, E. VIEL et Y. BLANC, La marche humaine – Kinésiologie dynamique, biomécanique et pathomécanique, Monographies de l’École de Cadres de Kinésithérapie de Bois-Larris, Masson, 1979.

3 En chinois : 雙重 shuang zhòng

4 Marie-Renée ROLLET, Vos potentiels, des ressources inexplorées, Potentialis, 2006

5 WANG Yang Ming (王陽明 / 王阳明) (1472 -- 1529) est l’un des quatre grands philosophes du confucianisme (孔孟朱王) avec Confucius, Mencius et ZHU Xi.

6 Cf. notamment Georges CHARLES, Le Rituel du Dragon – Les sources et les racines des Arts Martiaux, Éditions Chariot d’Or, 2003

7 CHENG Man-Ch’ing, La nouvelle méthode d’apprentissage personnel du Tai Chi Ch’uan selon Maître Cheng, Le courrier du Livre, 2001, « S’affranchir des trois peurs », pp. 27-29

8 J'ai utilisé les aimants fabriqués et vendus par l'entreprise Bérus, mentionnés par le Dr Louis DONNET, Les aimants pour votre santé, Éditions Dangles, 1985